“Tous ces champions de morale, qui sont d'ordinaire plus dépravés en secret que les francs libertins et se livrent cafardement aux adultères et fornications, stupres et autres goûts inconstitutionnels, tout en déclamant contre ceux qui avouent quelque papillonnage bien moins blâmable que le cynisme secret des moralistes” - Charles Fourier
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"J’aime beaucoup sucer le sexe des hommes. J’y ai été initié quasiment en même temps que j’ai appris à diriger le gland décalotté vers l’autre entrée, la souterraine. Dans ma naïveté, j’ai d’abord cru qu’un pompier était un acte sexuel déviant. Je m’entends encore expliquer la chose à une copine, dubitative et légèrement dégoûtée, moi affectant l’indifférence, en réalité assez fière de ma découverte et de mon aptitude à y faire face. Cette aptitude est bien difficile à expliquer car, au-delà d’un quelconque vestige du stade oral, et avant la crânerie mise dans l’accomplissement d’un acte qu’on croit anormal, il y a une obscure identification au membre que l’on s’approprie. La connaissance que l’on acquiert, à travers l’exploration menées simultanément du bout des doigts et de la langue, des moindres détails de son relief comme de ses plus infimes réactions, est peut-être supérieure à la connaissance qu’en a son propriétaire même. Il en résulte un ineffable sentiment de maîtrise : une minuscule vibration du bout de la langue, et voilà qu’on déclenche une réponse démesurée. À cela s’ajoute que prendre à pleine bouche procure plus nettement l’impression d’être remplie que lorsque c’est le vagin qui est occupé. La sensation vaginale est diffuse, rayonnante, l’occupant semble s’y fondre, tandis que l’on peut tout à fait distinguer les doux attouchements du gland à l’extérieur ou à l’intérieur des lèvres, sur la langue et sur le palais et jusque dans la gorge. Sans parler du fait que, dans la phase finale, on goûte le sperme. Bref, on est aussi subtilement sollicité que l’on sollicite soi-même. Reste le mystère, pour moi, de la transmission de l’orifice supérieur à l’orifice inférieur. Comment se fait-il que l’effet de la succion soit ressenti à l’autre extrémité du corps, que le resserrement des lèvres du pénis mette en place un bracelet extraordinairement dur à l’entrée du vagin ? Lorsque la fellation est bien menée, que je prends mon temps, avec le loisir de réajuster ma position, de varier le rythme, alors je sens venir d’une source qui n’a pas de lieu dans mon corps une impatience qui afflue et concentre une immense énergie musculaire là, à cet endroit dont je n’ai qu’une image imprécise, au bord de ce gouffre qui m’ouvre démesurément. Orifice d’un tonneau qu’on cerclerait. Lorsque l’anneau se forge par contamination de l’excitation du clitoris voisin, je peux comprendre. Mais lorsque l’ordre vient de l’appareil buccal ! L’explication est sans doute à chercher dans le un détour mental. J’ai beau avoir la plupart du temps les paupières baissées, mes yeux sont si proches du minutieux travail que je le vois néanmoins et l’image que je recueille est un puissant activateur du désir. Le fantasme est peut-être aussi qu’à l’arrière des yeux, le cerveau aurait une intelligence instantanée et parfaite de l’objet qui le touche presque ! Je vois d’abord mes propres arrangements sur lesquels je règle ma respiration : l’étui flexible de ma main, mes lèvres repliées par-dessus mes dents pour ne pas blesser, ma langue qui jette une caresse au gland lorsqu’il s’approche. J’évalue visuellement leur parcours, toute la main qui accompagne les lèvres, parfois avec un léger mouvement tournant, et resserre la pression au niveau du gros bourgeon terminal. Puis la main tout à coup se désolidarise pour branler vivement, de deux doigts seulement formant tenaille, et agite la soyeuse extrémité sur le coussinet des lèvres refermées dans un baiser. Jacques laisse toujours échapper le « ha » clair et bref d’un ravissement par surprise (alors même qu’il connaît parfaitement la manœuvre), et qui redouble ma propre excitation, lorsque la main lâche prise pour laisser la verge s’engouffrer totalement, jusqu’à toucher le fonds de la gorge. J’essaie de la garder là quelques instants, et même d’en promener l’arrondi au fin fonds du palais, jusqu’à ce que les larmes me viennent aux yeux, jusqu’à suffoquer. Ou alors, et pour ça il faut avoir le corps entier bien d’aplomb, j’immobilise le moyeu, et c’est toute ma tête qui gravite autour, et je distribue les caresses des joues, du menton mouillé de salive, du front et des cheveux, et même du bout du nez. Je lèche d’une langue prodigue, jusqu’aux couilles qui se gobent si bien. Mouvements entrecoupés de stations plus longues sur le gland où la pointe de la langue décrit des cercles, à moins qu’elle ne s’adonne à des agaceries sur l’ourlet du prépuce. Et puis, hop ! Sans prévenir, je ravale tout et j’entends le cri qui transmet son onde à l’armature forgée à l’entrée de mon con. Si je me laissais aller à la facilité, je pourrais en écrire des pages, d’autant que la seule évocation de ce travail de fourmi déclenche déjà les premiers signaux d’excitation. Il y aurait peut-être même une lointaine correspondance entre ma façon de peaufiner un pompier et le soin que j’apporte, dans l’écriture, à toute description. Je me bornerai à ajouter que j’aime aussi abandonner la fonction de conductrice. J’aime qu’on m’immobilise la tête entre deux mains fermes et qu’on baise dans ma bouche comme on baiserait dans mon con. En général, j’éprouve le besoin de prendre dans la bouche dans les premiers moments du rapport, histoire de fouetter les quelques millilitres de sang qui produisent l’érection. Soit que nous sommes debout et que je me laisse couler aux pieds de mon partenaire, soit que nous sommes couchés et que je me précipite sous le drap. Comme dans un jeu : je vais chercher dans le noir l’objet de ma convoitise. D’ailleurs, j’ai bêtement, dans ces moments-là, des paroles d’enfant gourmand. Je réclame « ma grosse sucette », et cela me réjouit. Et quand je relève la tête, parce qu’il faut bien que je détende les muscles aspirés vers l’intérieur de mes joues, je m’en tiens au « hum…, c’est bon » de celui qui fait croire au contentement de ses papilles quand il s’occupe surtout à se gaver. De même, je reçois les compliments avec la vanité du bon élève le jour de la distribution des prix. Rien ne m’encourage plus que de m’entendre dire que je suis la meilleure des « suceuses ». Mieux : quand, dans la perspective de ce livre, j’interroge un ami vingt-cinq ans après avoir cessé toute relation sexuelle avec lui, et que je m’entends dire qu’il n’a depuis « jamais rencontré une autre fille qui faisait aussi bien les pipes », je baisse les yeux, d’une certaine façon par pudeur, mais aussi pour couver ma fierté." Catherine Millet